Agir pour l’équilibre économique d’exploitation des Réseaux d’Initiative Publique dans un environnement régulé
La France en 2013 lance le Plan France THD avec pour ambition le déploiement du très haut débit (THD) sur l’ensemble du territoire français d’ici à 2022. En 2021, un réajustement de ce plan est opéré par l’Etat :
- « Le plan France Très Haut Débit (PFTHD) sera poursuivi et amplifié pour accélérer le déploiement de la fibre optique partout sur le territoire et parvenir à sa généralisation, au plus tard fin 2025. La mesure vient compléter les investissements du PFTHD afin de s’assurer que tous les Français, notamment ceux qui habitent en zone rurale, pourront bénéficier du meilleur de la connectivité numérique au domicile ou au travail ».
NATHD, Société Publique Locale fonctionnant en quasi régie, a été créée en 2015 pour intervenir sur les zones les plus rurales de la Région Nouvelle-Aquitaine délaissées par les opérateurs. NATHD s’est inscrite dans le cadre du plan France Très Haut Débit 100% fibre et des lignes directrices de l’ARCEP de décembre 2015 sur la « Tarification de l’accès aux réseaux à très haut débit en fibre optique déployés par l’initiative publique ». Sur le fondement de ses remontées opérationnelles, NATHD est porteur depuis 2021 auprès de l’ARCEP et du Gouvernement d’une démarche visant une revalorisation de ces tarifs d’usage de la fibre dans un objectif d’équilibre du projet public. A ce titre NATHD est l’interlocuteur idéal en tant qu’OI 100% public, orienté vers les coûts et maitrisant ses charges et ses recettes.
Une série de constats identifiés depuis 2 ans et toujours pas de solutions opérationnelles….
Un certain nombre de constats dans le domaine de la fibre confirment l’intérêt majeur de l’initiative publique en ce domaine et sa réussite : Permettre l’accès à la fibre en zone rurale comme en zones denses en tant que service public de la fibre. Il ne faut toutefois pas occulter une réalité opérationnelle en matière d’exploitation de ces réseaux en zones rurales qui est plus sombre à savoir des prix d’accès au réseau par les opérateurs figés et inadaptés et des coûts dépéréqués au détriment de la ruralité. NATHD en sa qualité d’OI Public est en mesure d’analyser l’ensemble de ses flux financiers afin que des solutions soient apportées opérationnellement.
1- Sans cette initiative publique il n’y aurait jamais eu de services THD dans les zones peu denses et le Plan France Très Haut Débit n’aurait pas été respecté.
A date il s’agit au total de près de 600 000 bâtiments éligibles soit plus d’1 million de personnes qui peuvent actuellement accéder à la fibre : un succès !
2- La commercialisation au global est plutôt bonne : 50% de taux de commercialisation en moyenne sur le marché pertinent et demain (horizon 2030), Orange ayant décidé de retirer le réseau cuivre (ADSL), notre réseau public sera le seul à permettre un accès à internet THD (téléphonie, TV…).
L’aléa de commercialisation sera fortement réduit d’ici 2030 même si les efforts en cours pour anticiper et accompagner cette situation sont lourds sur le terrain : pédagogie des administrés, des élus…, relances commerciales.
3- Des coûts d’exploitation structurellement déficitaires : des revenus figés nationalement et des coûts dépéréqués au détriment des zones rurales
Les usagers Opérateurs Nationaux payent pour accéder à notre réseau public et proposer leurs services aux usagers finaux un tarif récurrent d’environ 5 euros par abonnement par prise et par mois ; ce montant imposé actuellement est inférieur de moitié à ce que ces mêmes opérateurs payent pour accéder au réseau cuivre d’orange pour vendre de l’ADSL (dégroupage) soit 10 euros !!
- C’est un sujet d’autant plus important du fait que NATHD est orientée vers les coûts afin de reverser les redevances aux SMO qui ont chacun des plans de financement initiaux propres pour la construction du réseau dont ils ont la charge.
- Ce sujet est d’autant plus sensible que nous nous devons en qualité de collectivités locales assurer un équilibre budgétaire (« règle d’or budgétaire »).
- C’est l’analyse d’une dépéréquation.
En prenant de la hauteur, nous assistons d’une part à une dépéréquation du fonctionnement du secteur des télécommunications et d’autre part à un transfert anormal de charges financières de l’État vers les collectivités :
Historiquement, avant l’ouverture à la concurrence, le secteur public des télécoms se caractérisait par :
- Une péréquation au niveau national lors de la construction du réseau cuivre DGPT (Direction Générale des P&T/France Télécom)
- Une péréquation au niveau des offres commerciales (offres uniques, monopole)
- Une péréquation au niveau national au titre de son exploitation/maintenance par France Télécom établissement public.
A l’ouverture à la concurrence en 1998, qui aura permis un foisonnement d’acteurs et d’offres profitables aux usagers, le secteur des télécoms reposant pour beaucoup sur l’infrastructure dégroupée d’Orange (dégroupage du cuivre pour permettre un accès ADSL) a conservé :
- Une péréquation au niveau national du réseau cuivre déjà construit (France Télécom SA puis Orange)
- Une péréquation au niveau des offres commerciales concurrentielles (marché national de l’ADSL et concurrence par les services et les prix)
- Une péréquation au niveau national au titre de son exploitation par Orange avec un accès à son infrastructure rémunéré au titre du dégroupage à un tarif actuellement proche de 10€.
Avec l’arrivée de la fibre, qui est collectivement en passe d’être un succès, on assiste à une modification de ces principes :
- Une dépéréquation nationale partielle de la construction des réseaux fibres, laissée à l’initiative privée en zones denses et rentables, et à l’initiative publique en zones non denses et non rentables.
L’action de l’État (PFTHD) et ses financements représentent environ 1/3 de l’investissement initial et de l’effort national quand la participation des collectivités représente les 2/3, avec une proportion quasi inexistante provenant de l’Europe
- Une péréquation au niveau des offres commerciales concurrentielles (marché national de la fibre à un tarif proche de l’ADSL – concurrence par les services et les prix -) avec un tarif d’accès à l’infrastructure publique identique imposé au niveau national.
- Une dépéréquation totale au niveau national au titre de l’exploitation du réseau fibre, les revenus tirés de sa location étant nationaux, décorrélés des coûts réels d’exploitation et dont le constat actuel est qu’ils sont bien supérieurs en zone rurale qu’en zones denses :
Exploiter et maintenir un réseau sur des centaines de km en partie aérien en Creuse, en Corrèze ou dans les Landes coûte bien entendu plus cher que son exploitation à Bordeaux, c’est une évidence !
Raccorder des usagers dans des immeubles de centre-ville coute beaucoup moins cher que dans des habitats diffus en Charente ou dans le Lot et Garonne.
Utiliser les infrastructures cuivre de l’OI Orange (spécialement dégradées en zone rurale) moyennant finances (contrat GCBLO) constitue un éléments imparfait de péréquation puisqu’au final on constate que son périmètre d’action laisse la porte ouverte à de nombreuses interprétations toujours au détriment des collectivités (réparation des infrastructures refusée par son propriétaire Orange, câbles en pleine terre …) qui doivent assumer les nouveaux coûts pour assurer le service public : au final elles payent deux fois;
Cette situation est valable également quel que soit le modèle économique utilisé par les collectivités (DSP concessive, DSP affermage, Régie…). Le phénomène peut certes être moins visible avec un OI privé (DSP Concessive, DSP affermage) qui, en pratique, aura vocation à susciter l’octroi de différents types de subventions publiques pour équilibrer son modèle, tant au début du contrat qu’en en cours de vie du contrat. Il peut aussi abandonner la construction / exploitation des prises les plus onéreuses rejoignant ainsi les positions de certains acteurs privés estimant qu’il est « irréaliste » de couvrir 100% du territoire en fibre contrairement aux objectifs du Plan France Très Haut Débit.
Conséquence directe : nous assistons à un transfert de charges financier de l’effort national (Etat/péréquation nationale) vers les collectivités locales dans un environnement général économique et financier plus que contraint (budgets, inflations, taux bancaires) et devant au surplus assumer le financement à hauteur des 2/3 de la construction du réseau Fibre : ceci n’est pas acceptable.
Le schéma juridico financier du projet NATHD proche d’une quasi régie (les SMO actionnaires construisent via des marchés publics le nouveau réseaux fibre et le remettent via des contrats publics de DSP en Exploitation/Commercialisation/Maintenance à l’OI NATHD), permet d’isoler stricto sensu ces coûts pris globalement.
Le modèle retenu fonctionne bien, est vertueux et vise à être « autoportant » économiquement, dans la mesure où la rentabilité n’est pas l’objectif de cette démarche de service public (l’intégralité des revenus disponibles étant reversés aux SMO constructeur du réseaux fibre) mais seule l’efficacité est recherchée à tous les niveaux (mutualisation, relations avec le sous-traitant, avec les OC, qualité des raccordements, avec les territoires et élus locaux…).
Constat d’un déséquilibre initial du modèle économique des OI publics depuis 2015
En se concentrant exclusivement sur ses coûts d’exploitation et en excluant toute la partie liée aux investissements de premier établissement, nous constatons des flux financiers asymétriques à tous les niveaux :
- Le coût moyen de la prise se situe autour de 1 800 € sur la base des marchés publics passés.
- Le financement initial de ces prises (premier établissement : 1,4 Milliards d’euros) est réparti généralement de la manière suivante : 1/3 Etat ; 1/3 Départements et EPCI ; 1/3 Région basé sur subventions publiques (Europe marginal) auquel s’ajoute des avances remboursables des collectivités ou de la dette bancaire pour préfinancer les 500 € de cofinancement.
- L’émergence d’un déficit structurel :
– Déficit net global total à horizon 2030 (date du décommissionnement) : si rien n’est fait, 27% des charges actuelles d’exploitation seraient couvertes uniquement par l’action publique locale via un complément de financement.
– Déficit par ligne économique, à savoir des opérations aux flux financiers croisés (recettes et charges) :
Vie du réseau (enfouissements/dévoiements/extensions/densifications) : Si l’on soustrait la participation contractuelle théorique des OCEN co-financeurs à ces coûts[1], le reste à charge pour l’OI public est de 90% !! Ce déficit participe à hauteur de 38% du déficit net global de NATHD
Raccordements : Si l’on soustrait (aux charges de réalisation hors adductions neuves) les subventions FSN dédiées (2%) et les recettes des raccordements payées par les OC jusqu’en 2030 (date de fin du décommissionnement par Orange), le reste à charge pour l’OI public NATHD est de 39% dont près de 5% correspondant à des raccordements non pris en charge actuellement et en pratique par le contrat GCBLO d’Orange. Ce déficit participe à hauteur de 29% du déficit net global de NATHD.
Adduction neuves non compensées par le Service Universel: 11%
[1] A noter une participation inexistante pour l’instant en pratique des OCEN et plafonnée contractuellement à 1€ / prise/département/an sur l’enfouissement
Une dégradation subie et systématique de la situation économique de l’OI public au profit des OC notamment : comment en est-on arrivé là ?
Il s’agit du résultat concret de rapports de force perdus ou d’abandons institutionnels au détriment du service public et de l’intérêt général des usagers.
Prenons ainsi quelques illustrations par thématique :
- Co-investissement des OC
– Orientation réglementaire : versement par les co-investisseurs de 500 € par prise et par an dans le cadre d’un IRU de 20 ans. L’ARCEP impose ensuite la nécessité de permettre une visibilité aux opérateurs sur du plus long terme dans le cadre de leur renouvellement.
– Résultats : les contrats d’accès au réseau FTTH public prévoient un renouvellement sur 20 ans de plus pour 1 €, soit 501 € sur 40 ans soit un « co-investissement » de 1,04 € par prise et par mois (480 mois) pour un droit irrévocable d’usage de 40 ans décorrélé d’un coût moyen de la prise se situant autour de 1 800 €.
- Vie du réseau : enfouissement, dévoiement
Les OC « co-investisseurs » doivent participer à ces opérations à hauteur de leur participation en co-investissements (tranches de prises « achetées »).
– Toutefois ces opérations d’enfouissement font l’objet contractuellement d’un double plafonnement:
– Lorsque le montant net des travaux est inférieur à cinq mille euros hors taxe (5 000 € HT), les travaux sont à la charge de l’OI au titre de la maintenance du Câblage FTTH. Le montant net des travaux n’est pas cumulable sur plusieurs événements.
– Le « plafonnement annuel pour chaque Département, par année calendaire, équivalent à un (1) € par Logement Raccordable pour les opérations d’enfouissement non liées à un dévoiement ».
A noter qu’à ce jour aucun opérateur co-financeur n’a participé effectivement aux opérations de vie du réseau déjà réalisées et que cette participation doublement plafonnée est disproportionnée par rapport aux coûts subis.
- Raccordements
En mode forfaitaire, chaque raccordement simple (hors raccordements avec génie civil, élagage ou raccordements longs) coute à NATHD en moyenne 350 € sur base des travaux effectués via marchés publics ou contrats STOC ; or, dans le cadre du contrat en mode STOC, chaque OCEN est facturé conformément aux orientations réglementaires, 250 € forfaitairement en mode CAPEX ou 2,3 €/mois en mode lissé. Cela signifie en pratique un « reste à charge » pour l’OI public de 100 € en mode CAPEX ou un portage financier couteux et non-rémunéré (une avance de trésorerie) sur près de 10 ans !
– Ainsi chaque prise et chaque abonnement supplémentaire permettant le service FTTH en mode rural est subventionné à hauteur de près de 30% par les collectivités !!!, cette subvention publique venant compenser une action du secteur privé… le calcul est simple : 750 000 prises visant un 100% = 75 millions de subventions ; Par ailleurs cette action publique non péréquée nationalement est portée en totalité par les collectivités seules.
– Depuis l’annonce du décommissionnement par Orange, et dès lors qu’un raccordement est indispensable pour amener le service à l’usager final, on peut dès lors s’interroger sur la qualification financière de ces raccordements comme faisant partie intégrante des investissements de premiers établissements (CAPEX). Si cette même logique devait être suivie, la participation de l’État ne devrait pas être sur la plaque NATHD de 2% comme c’est le cas actuellement mais de 30% comme sur le premier établissement et également faire l’objet d’une participation des OCEN Cofinanceurs au titre du cofinancement CAPEX.
- Adductions des immeubles neufs
– Le financement de ces travaux de génie civil indispensables pour permettre l’accès aux services par les usagers a disparu en 2021 du fait de l’abandon pour la fibre du régime du Service universel existant auparavant pour le cuivre et abondé par l’ensemble des opérateurs dans le cadre d’une péréquation nationale.
– Aussi même avec une participation de l’usager final les collectivités doivent financer une partie de ces travaux sans compensation.
- Infrastructures d’accueil :
En zone rurale les infrastructures d’accueil du cuivre sont fortement dégradées et de nombreuses adductions sont considérées comme non réparables ou n’appartenant plus à Orange. Ceci entraine un transfert de charge vers les collectivités qui reconstruisent des parties du réseau d’Orange.
– C’est certes apporter le service à l’usager final dans le cadre d’une démarche de service public mais c’est aussi payer dans un premier temps l’accès GC d’Orange pour mieux payer à nouveau (réparation et création de GC)
– Résultat : de nouveaux investissements non rentables structurellement (« bouts de réseau ») qui au final accroissent la valeur intrinsèque du réseau GC d’Orange.
Des adaptations des tarifs récurrents pourraient s’avérer nécessaires afin de permettre à certains RIP de couvrir leurs coûts d’exploitation, qui seront nécessairement appréciés sur le long terme.
Dans cette perspective l’Arcep a besoin pour cela de recueillir des éléments chiffrés pour mieux documenter ces coûts et leurs éventuelles variations entre les réseaux et à ce stade seul un RIP (NATHD) est venu solliciter l’Arcep sur la base de ces éléments chiffrés.
Le constat d’un déficit structurel récurrent des RIP en zone rurale et en matière stricto sensu d’Exploitation / Maintenance est démontré par NATHD. Nous y travaillons encore. Il y a un an, dans le cadre d’une étude AVICCA / FNCCR menée par le cabinet TERA regroupant une petite dizaine de RIP, ce constat était également identifié clairement. Chaque semaine qui passe accroit ce déficit structurel qui ne pourra en aucun cas être rattrapé dans le temps. Cet effort national autour de l’équilibre du modèle des RIP doit être justement réparti entre les différentes parties prenantes à savoir l’Etat, les collectivités mais aussi les OC et les usagers.
Cette étape est absolument indispensable et constitue un préalable à tout autre sujet dans la mesure où de la santé financière équilibrée des RIP dépendront les autres problématiques liées à l’environnement, à la sécurité des réseaux, à leur entretien, à la qualité de services mais aussi à leur résilience.
En conséquence il est maintenant urgent et indispensable de :
- Revoir les tarifs récurrents d’accès à la prise du réseau public neuf FTTH pour équilibrer les modèles dans le respect de la règle d’or budgétaire à savoir un équilibre des comptes.
- Prévoir une approche complémentaire assurant une péréquation réelle de l’effort financier notamment en matière de raccordements.
Cela fait 2 ans que nous travaillons et échangeons avec les autorités publiques (M le Président Macron et gouvernements successifs ainsi que l’ARCEP) afin qu’une solution constructive et pérenne soit trouvée. Nous avons même demandé à être régulé !! afin de permettre une réelle orientation vers les coûts, en vain. Cela fait quelque mois que nous entamons des discussions avec certains OC afin de trouver également des solutions, gage de notre ouverture. Pour l’heure, force est de constater que l’exécutif est d’un silence assourdissant, que l’ARCEP nous prête une écoute attentive sans que des solutions opérationnelles ne soient proposées et que les OC semblent sourds à cette problématique OI.
- Nous défendons un service public de qualité, efficace et scrupuleux quant à l’usage de l’argent public au profit de l’intérêt général des usagers et citoyens.
- Nous ne pourrons laisser perdurer cette situation qui n’a que trop durée au niveau national et envisageons actuellement toutes les hypothèses qu’elles soient contentieuses, législatives ou réglementaire afin de résoudre ce sujet au niveau national ou communautaire.
AVICCA TRIP novembre 2023
Intervention de Laure de La Raudière, présidente de l’Arcep
Intervention de Mathieu Hazouard Président de NATHD
